Les litiges, qu’ils concernent les copropriétés, les prestataires, voire certains propriétaires, font partie de la vie normale des administrateurs de biens. Jusqu’à quel point ? A juste titre, l’acquéreur d’un cabinet voudra toujours mesurer le degré de complexité des conflits en cours chez le vendeur, les ressources à engager pour les résoudre, et les risques associés.
Les sujets de conflits ne manquent pas
Selon une enquête récente, les contentieux liés au secteur immobilier arrivaient en 2020 en troisième position du champ de l’analyse, après le secteur de la consommation et celui du travail. « Les contentieux font partie de la vie normale d’un cabinet d’administration de biens », confirme Laurent Charrier, associé de Viou & Gouron, le spécialiste des transactions entre professionnels de l’administration de biens.
Le fait qu’un vendeur ait des litiges en cours au moment d’une cession est absolument banal. Les sujets de conflit ne manquent pas. Ceux qui concernent les syndics occupent la tête du classement. Selon la même enquête, la question des impayés de charges concernerait même 82 % d’entre eux, devant les processus d’organisations des AG, la tenue des comptes bancaires, et enfin l’entretien et les travaux.
Ces litiges sont publics : de nombreux sites internet les référencent, à commencer par celui de l’association des responsables de copropriété (Arc-Copro) qui va jusqu’à citer nommément certains cabinets. D’autres se contentent d’énumérer les causes de contentieux. Parmi les principales :
- Les négligences : il s’agit des situations où le syndic ne répond pas aux sollicitations des copropriétaires, n’exécute pas les travaux votés en AG malgré les crédits nécessaires mis à sa disposition, ne veille pas à la conservation de l’immeuble, par exemple en ne faisant pas voter des travaux urgents susceptibles de causer un sinistre, manque à son devoir de conseil et d’information auprès des copropriétaires, ou encore tarde à recouvrer les sommes dues par un copropriétaire distrait…
- Le non-respect du règlement ou du mandat : ici, le syndic ne tient pas à jour le règlement de la copropriété concernant les parties communes et privatives, ou bien ne convoque pas les assemblées générales en temps voulu, ou encore prend des décisions qui dépassent ses pouvoirs ;
- La non-conformité des décisions prises avec le règlement de copropriété : lorsque le syndic ne joue pas son rôle d’alerte envers le syndicat et ne lui signale pas les décisions non conformes au règlement de copropriété ou à la loi ;
- Les éventuelles actions pour pratiques frauduleuses seront évidemment examinées de près par un acheteur éventuel…
Concrètement, un professionnel peut être poursuivi par des syndicats de copropriétaires, ou par un ou plusieurs copropriétaires de façon individuelle. Ces derniers ne s’en privent pas. « Lors d’une cession récente, le vendeur avait un contentieux en cours avec une famille qui l’avait assigné en référé pour son absence d’intervention lors d’un conflit qui l’opposait à un voisin bruyant », illustre par exemple Laurent Charrier.
Certes, un syndic a globalement une obligation de moyens mais non de résultats. Mais s’il paraît difficile de lui reprocher les manquements d’un artisan lors d’un chantier, le défaut de conseil lors de l’appel d’offres et du choix du prestataire pourra l’être. « Et dans tous les cas, c’est bien le syndic, en cas de contentieux avec un prestataire, qui va devoir le gérer pour le compte de la copropriété » rappelle le spécialiste.
Jusqu’à quel point un acquéreur peut-il accepter des litiges en cours ?
L’ensemble de ces données confirme bien l’analyse de Viou & Gouron sur la dimension « normale » de ces conflits. Mais jusqu’à quel point l’acquéreur potentiel d’un cabinet peut-il – ou doit-il, les accepter en l’état ? La condition sine qua non, c’est la transparence. « La transparence est la première exigence de tout acheteur de cabinets d’administration de biens. Nous défendons cette dimension. Il serait inacceptable que le candidat au rachat découvre des conflits trop tardivement dans ses échanges avec le vendeur (avec le risque de faire capoter la cession du cabinet), ou, pire encore après la transaction. Cela s’apparente presque à un vice caché ».
Peut-on fixer une acceptabilité moyenne ? Fort de son expérience de ces situations, l’expert avance un ratio « acceptable et accepté » de 1 contentieux en cours pour 30 à 40 copropriétés gérées.
A noter que la mise en place d’une période d’accompagnement fait également partie des engagements recherchés par les acquéreurs pour accélérer après la cession la résolution des conflits en cours dans le cabinet racheté.
Les contentieux en cours ne sont pas discriminants dans une vente de cabinet
Dès lors au contraire que le lien de confiance est établi, la discussion entre les deux parties va entrer dans le concret de ces litiges en cours. Le repreneur va notamment vouloir mesurer le temps que devront consacrer ses équipes à les traiter, puisque la règle veut qu’il les reprenne à son compte. En revanche, constate Laurent Charrier, « il y a peu de débats sur la nature même de ces litiges. Le futur acquéreur, surtout s’il a l’habitude de ces rachats d’affaires et qu’il connaît bien le métier d’administrateur de biens, sait prendre de la distance et ne pas juger sur le fond ».
Il va toutefois s’assurer que les contentieux ont bien fait l’objet d’une déclaration à la caisse de garantie du vendeur, ce qui en limitera la portée financière. Il va aussi vérifier que le transfert du dossier vers sa propre caisse ne posera pas de problème, en particulier que cette dernière aura la même analyse du dossier que sa consœur. « Un autre risque serait que la caisse fasse évoluer le montant des primes d’assurances demandées au repreneur, en arguant d’un nombre trop élevé de contentieux en cours impliquant le cabinet objet de la reprise ».
C’est finalement l’un des rares critères sur lesquels l’acquéreur va pouvoir chiffrer le risque financier des litiges « repris » avec son acquisition. Il en existe un autre, plus qualitatif mais certainement pas moins important, à savoir le risque d’image. A l’heure des réseaux sociaux, la bonne réputation est plus importante que jamais. Des avis trop négatifs laissés sur internet par des copropriétés ou des particuliers en conflit avec un administrateur de bien, peuvent avoir un impact sur la recherche ultérieure de nouveaux clients par le cabinet ou son repreneur. C’est pourquoi les efforts de résolutions à l’amiable de ces situations sont vivement conseillés aux professionnels qui s’apprêtent à céder leur affaire.