L’interdiction de location des passoires énergétiques a un impact direct sur le chiffre d’affaires des professionnels de la gestion immobilière. Pour protéger la valeur de leurs cabinets, ils peuvent se positionner en partenaires indispensables des propriétaires face aux complexités des chantiers de rénovation.
Moins d’appartements en gérance locative
Sur fond de tensions sur le marché de l’immobilier, de nombreux administrateurs de biens expriment des craintes à propos des conséquences de la loi Climat et Résilience (loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique). Une des principales concerne la diminution des mises en gérance pour les appartements notés F et G au DPE.
Le volume des biens concernés est important. Selon un rapport de l’Observatoire national de la rénovation énergétique publié fin 2024, sur les 37 millions de logements que compte la France métropolitaine, le nombre de passoires thermiques, étiquetées F et G, était estimé à 5,8 millions au 1er janvier 2024. Cela représente 15,6 % du parc résidentiel même si environ 11 % de ce parc est sorti de la zone rouge l’année dernière (après 7 % l’année précédente).
Le coût des travaux à engager pour pouvoir remettre un tel bien sur le marché locatif s’avère élevé. « De nombreux petits propriétaires préfèrent vendre » constatait récemment Zahir Keenoo, à la tête de Foncia ADB, dans une interview à Capital. Numéro un de la gestion locative en France avec 400 000 biens gérés, Foncia a ainsi vu le nombre de ses clients propriétaires bailleurs fondre de 25% l’an dernier, par rapport à 2023. En janvier 2025, une autre étude menée par l’observatoire Guy Hoquet Location montrait que seulement un quart des bailleurs propriétaires de logements classés G étaient prêts à y effectuer des travaux de rénovation énergétique. En revanche :
- 40% des propriétaires décideraient de le vendre,
- 27% feraient le choix de continuer à louer sans se mettre en conformité avec la loi,
- 7% préféreraient le laisser inoccupé.
Un impact sur le portefeuille clients qui peut affecter la valeur du cabinet

Laurent CHARRIER – Associé
« Les acteurs de la gestion locative se retrouvent en première ligne » constate Laurent Charrier, associé de Viou & Gouron, le cabinet spécialiste des transactions entre professionnels de l’administration de biens. La diminution du nombre d’appartements qui leur sont confiés impacte directement leur chiffre d’affaires, leur rentabilité et, lorsqu’ils souhaitent vendre leur cabinet, sa valorisation sur le marché – puisque celle-ci est directement liée au portefeuille clients. Aussi, remarque l’expert, « S’ils ne veulent pas subir la situation, ils doivent prendre les devants. »
Première étape : aider les bailleurs à anticiper sur le calendrier des interdictions de signer un nouveau bail qui vont s’appliquer aux différentes catégories d’appartements :
- 1er janvier 2025 pour les classés G,
- 1er janvier 2028 pour les F,
- et 1er janvier 2034 pour les E.
« Le rôle du professionnel sera également d’insister pendant les périodes de vacance de locataire, et de bien signifier aux propriétaires que l’application de la loi a peu de chances d’être retardée, contrairement aux espoirs de certains ».
Prendre les devants aux côtés des bailleurs
Ils peuvent aussi se positionner en partenaires de leurs clients, face aux maquis du financement des travaux de rénovation. Pour financer les travaux, une copropriété peut bénéficier de conditions privilégiées, notamment grâce à l’éco-prêt à taux zéro ou à la TVA au taux réduit de 5,5 %. Il y a aussi des aides à aller chercher auprès des structures mises en place dans les grandes villes comme Paris avec l’Agence parisienne du climat (APC), qui recensait fin 2024 plus de 20 000 copropriétés inscrites sur sa plateforme CoachCopro. Mais il y a de nombreux dossiers à monter, de toutes aussi nombreuses conditions particulières à remplir, sans compter, dans les grandes villes notamment, la difficulté à trouver le professionnel qualifié disponible.
Un quart des bailleurs ont tout de même réalisé des travaux de rénovation en 2023. C’est une bonne nouvelle pour les administrateurs de biens, qui peuvent espérer que le mouvement se poursuive. Reste que pour atteindre les objectifs de la SNBC (Stratégie nationale bas carbone), qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, il faudra drastiquement augmenter le rythme annuel des rénovations, qui devrait passer de 70 000 aujourd’hui, à 370 000 d’ici 2030, et 700 000 au-delà. Un défi pour tous, propriétaires, administrateurs de biens et professionnels du bâtiment.
Les gérants locatifs et les syndics sont bel et bien incontournables dans la poursuite du mouvement. Notamment parce qu’ils savent ou sauront :
- Rappeler la réglementation aux copropriétés et aux propriétaires et surtout, leur proposer des solutions concrètes pour s’y conformer,
- Développer une expertise sur ces réglementations, de façon à sécuriser les travaux qui devront être réalisés,
- Se construire un portefeuille d’artisans habilités à intervenir sur ce type de chantiers, avec les certifications qui assureront la qualité des prestations et donneront accès à des aides financières,
- Travailler sur la durée avec ces artisans afin de s’assurer de leur disponibilité au moment désiré, pour éviter le risque de pénuries et donc de surcoûts, lorsque les échéances réglementaires se rapprocheront,
- Suivre les chantiers jusqu’à leur bonne fin dans le cas des syndics.
Tout à gagner à accompagner la transition, à court et à plus long terme
Sur le plan des travaux, l’administrateur de biens – notamment agissant comme syndic – a toutes les qualifications pour identifier les besoins, planifier et budgétiser des travaux. Il pourra se rémunérer sur ces travaux puisque la loi le lui permet sous forme de prestations dites « particulières ». Selon les travaux et les missions du syndic, le pourcentage facturé aux copropriétés peut aller jusqu’à 5% du montant HT des travaux.
Cette implication des gestionnaires dans l’accompagnement de leurs clients est de nature à améliorer leur fidélisation, laquelle se traduit par des honoraires mieux négociés, des rentabilités améliorées et, in fine, une plus grande attractivité sur le marché des transactions entre cabinets. Avant peut-être même que, dans un avenir proche, la qualité énergétique des biens en location ou des immeubles, ne fasse partie des critères d’évaluation de la valeur de ces mêmes cabinets ? « Nous n’en sommes pas encore là, regrette Laurent Charrier. Cette colonne reste à ajouter dans les audits que mènent les acheteurs au moment de leurs acquisitions. Mais c’est sans doute le sens de l’histoire ». Et peut-être l’esprit de la Loi ?
Vous vendez votre cabinet ?