Que l’on veuille se retirer, s’associer, ou changer de métier, tous les enjeux d’une décision de gestion souvent unique en son genre : vendre son cabinet d’expertise-comptable.
« La profession comptable n’est pas faite de serial entrepreneurs. La plupart du temps, le dirigeant n’aura qu’une occasion de vendre son cabinet. On comprend qu’une telle décision soit porteuse de stress. D’où l’importance de bien intégrer ses enjeux en amont, de se faire aider dans sa réalisation, et de réfléchir avant… à l’après », résume Laurent Charrier, directeur général de Viou & Gouron.
Les enjeux professionnels et personnels de la vente d’un cabinet comptable diffèrent évidemment selon le cas de figure. Pour simplifier, nous allons analyser trois situations :
- Vendre et se retirer,
- Vendre et rester,
- Vendre et recommencer.
Vendre son cabinet pour prendre sa retraite
50% des 21,000 experts-comptables français ont aujourd’hui plus de 50 ans, et 8% plus de 65 ans[1]. La cession pour départ en retraite constitue encore le premier déclencheur de transactions, rappelle Laurent Charrier, spécialiste de la transmission de cabinets comptables. Dans ce cas de figure, les enjeux personnels et professionnels ont tendance à se confondre.
Pyramide des âges des experts-comptables français
≥ 65 ans | 8% |
50 à 65 ans | 42 % |
40 à 49 ans | 30% |
30 à 39 ans | 19 % |
< 30 ans | 1% |
Les enjeux personnels sont ici les mêmes que pour n’importe quel dirigeant de PME. « Pouvoir prendre enfin le temps de vivre », s’occuper de soi et de sa santé, consacrer du temps à des activités associatives ou culturelles, voir davantage ses petits-enfants, s’installer dans une autre région… : les attentes en matière de retraite sont largement partagées.
Pour autant, mettre un terme à sa carrière constitue une étape complexe, dont le vécu est très variable d’un individu à l’autre. Rares sont les experts-comptables qui regretteront le rush des périodes fiscales ou les affres des contrôles fiscaux. Mais pour qui a accompagné sa vie durant des centaines d’entrepreneurs, qui a partagé leurs craintes et leurs espoirs, qui a suivi leurs réussites, la peur du vide n’est jamais loin. Changement de statut social, délitement des réseaux relationnels, perte d’image de soi : autant de facteurs largement étudiés auxquels n’échappera pas un professionnel du chiffre qui part à la retraite[2].
Ce départ sera d’autant mieux négocié que ses conditions auront été bien préparées. Et pour un dirigeant, la réussite passe par l’association de deux facteurs :
- La dimension patrimoniale, bien sûr. En-dehors de sa résidence principale, les parts du dirigeant représentent le plus souvent la part la plus importante de sa fortune personnelle. La valorisation du cabinet – et le montant du chèque, est naturellement primordiale pour la suite.
- La dimension professionnelle n’est pas moins cruciale. Assurer la continuité de son entreprise via un successeur (cabinet familial) ou d’un repreneur extérieur, constitue le plus souvent un objectif affirmé. Car prendre sa retraite ne veut pas dire abandonner son cabinet, ses clients et ses collaborateurs. Cela signifie transmettre la confiance que l’on avait reçue ! « Je vois souvent des experts-comptables préférer une offre légèrement inférieure si le repreneur présente davantage de garanties quant à la pérennité du cabinet et au respect de ses collaborateurs », note Laurent Charrier.
Cette logique de transmission se retrouve logiquement dans les conditions d’accompagnement du dirigeant partant, qui tendent aujourd’hui à dépasser la simple présentation des clients pour préférer une présence plus longue, de nature à rassurer un personnel qualifié et à consolider le portefeuille.
Vendre son cabinet et y rester
Ce n’est pas pour rien que le marché du chiffre continue à se concentrer [3]. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le dirigeant d’un cabinet peut souhaiter se rapprocher d’un autre, et échanger ses parts contre une participation au capital du repreneur. Face aux défis conjugués d’une concurrence à bas coût, d’une transformation digitale aussi inéluctable que complexe, des besoins croissants des clients dans des domaines toujours plus diversifiés, et d’un recrutement particulièrement difficile, la devise « l’union fait la force » parait plus justifiée que jamais !
« Je rencontre actuellement beaucoup d’experts-comptables de 40 à 50 ans, qui cherchent à se rapprocher d’un plus grand groupe. Cela peut tenir à une lassitude vis-à-vis des missions, à un sentiment de solitude, à l’envie d’échapper à la routine d’une petite entreprise, ou encore à la recherche de sécurité. Mais cette démarche correspond aussi à une volonté d’aller plus loin ».
Laurent Charrier, Viou & Gouron
La cession dans le cadre d’un rapprochement signifie donc la poursuite de son aventure entrepreneuriale sur des bases nouvelles. Encore faut-il que celles-ci soient clairement définies, sous peine de désillusions à venir. « Le propre d’un rapprochement, c’est de partager un projet commun ». Bien sûr, il pourra évoluer avec le temps et les événements… mais quelles que soient la qualité du repreneur et la hauteur de son offre, il est primordial que ce projet soit sans ambiguïté – et partageable avec ses collaborateurs d’aujourd’hui.
Lire aussi : Experts-comptables, est-ce le moment d’envisager un rapprochement ?
Les dimensions personnelles et psychologiques tiennent une place importante. Oui, le cédant restera, au moins pour un temps, le « patron » de l’équipe qu’il aura amenée avec lui. Mais il lui faudra admettre devenir le « manager » de cette équipe plutôt que le « dirigeant » du cabinet, dont il sera un associé parmi d’autres. Une situation qui n’est pas sans conséquences :
- Perdre en partie la maîtrise de son agenda : ce n’est plus son emploi du temps qui prime,
- Aligner ses pratiques managériales sur celles du groupe qu’il rejoint : gestion du temps de travail, des congés, RTT…, et les faire admettre par ses collaborateurs,
- Accepter de remettre en cause un mode d’organisation et des méthodes de travail – comme par exemple migrer vers un autre logiciel métier,
- Consacrer du temps à la vie du groupe et à sa gestion, alors même que l’on n’est pas le décisionnaire en dernier ressort,
- Participer à des débats sur des questions que l’on pensait avoir résolues une fois pour toutes !
Autant de renoncements nécessaires auxquels il faut être prêt à faire face. « La compréhension des attentes et la mesure des capacités des deux parties sont primordiales dans un rapprochement réussi, et constituent le cœur de métier d’un cabinet comme le nôtre », souligne Laurent Charrier. Auquel il faut ajouter la double valorisation du cédant et du repreneur, pour que la transaction s’effectue sur des bases équilibrées.
Vendre… et tout recommencer
Dernier cas de figure : le cas où le dirigeant du cabinet veut tout simplement… changer de métier. Lassitude, envie de concret, passion pour un secteur, quête de sens… chacun viendra avec ses motivations. On a vu des experts-comptables rejoindre une start-up, se reconvertir en patron de PME industrielle ou de services, voire devenir restaurateur, hôtelier ou… boulanger !
Cette catégorie de vendeurs n’est certes pas la plus courante, mais elle existe bel et bien. « Dans un cas comme celui-là, notre mission sera d’abord d’optimiser le prix de vente du cabinet, car les fonds obtenus seront souvent investis dans la nouvelle activité. Il faudra en particulier rappeler au vendeur qu’un départ précipité ne jouera pas en sa faveur, la valorisation pouvant s’effondrer si l’accompagnement est trop bref », souligne Laurent Charrier.
Pour le cédant, le changement est lourd de conséquences. Il lui faudra analyser le plus froidement possible ses enjeux personnels. S’agit-il de gagner plus ? De travailler moins ? D’une erreur d’orientation à corriger pendant qu’il est encore temps ? Il aura besoin en effet d’une solide motivation et d’un grand sens de l’adaptation pour passer d’une profession de conseil – avec le statut d’un spécialiste respecté et écouté – à un métier de production ou de service :
- Le talent commercial est presque toujours clé dans la réussite d’une entreprise. Le futur ancien expert-comptable a-t-il eu l’occasion de le développer, ou a-t-il surtout géré des clients se présentant d’eux-mêmes ou sur recommandation ?
- Les difficultés de recrutement ne sont pas limitées à la profession comptable. Vous trouvez difficile de trouver un chef de missions expérimenté ? Cherchez donc un chef de rang, un maçon, un chauffagiste ou un développeur informatique…
- La gestion des stocks, si elle est maîtrisée en théorie, peut s’avérer autrement plus difficile quand on passe de l’autre côté du miroir – plus encore dans une période où les ruptures et les retards d’approvisionnement se multiplient,
- … et beaucoup d’autres défis à relever !
« Il n’y a rien de négatif dans le changement, si c’est dans la bonne direction », disait Winston Churchill. Une fois choisi son chemin, l’expert-comptable gagnera dans tous les cas à être bien accompagné pour en réussir la première étape : céder son cabinet dans les meilleures conditions.
[1] Au 13/12/2021. Source : base Istya, traitement réalisé par l’Observatoire de la profession comptable
[2] Pinquart & Schindler, 2007
[3] Xerfi 2021 – https://www.xerfi.com/presentationetude/Les-mutations-des-cabinets-d-expertise-comptable-et-d-audit-a-l-horizon-2023_21SAE49