La gloire éphémère des « disrupteurs » auto-proclamés sur le marché des syndics de copropriété aura eu au moins un effet bénéfique. Elle a obligé les « historiques » à revenir vers leurs clients pour leur expliquer la valeur du service rendu, voire, dans certains cas, à sélectionner les copropriétés les plus en phase avec leur modèle. Un salutaire exercice de mise à plat de ce qui fait la valeur du cabinet… y compris quand on pense à vendre le sien.
Néo-syndic, fais-moi peur
Les néo-syndics ont été les vedettes des cinq dernières années, occupant les plateaux de télévision et suscitant l’appétit des capital-risqueurs attirés par ce qu’il était convenu de ranger dans la catégorie Proptech. Les néo-syndics se proposaient de révolutionner la profession, de la disrupter, grâce notamment à une utilisation intensive de plateformes internet pour gérer les échanges avec leurs clients, leurs fournisseurs et plus généralement l’ensemble de l’écosystème.
Matera et autres Bellman avaient annoncé la couleur. Ce dernier a été l’auteur d’une campagne de communication plutôt agressive, où les clients des syndics traditionnels étaient présentés comme des masochistes parce qu’ils supportaient de payer cher, d’attendre une éternité pour des réponses à leurs questions ou pour l’éxécution de travaux votés… « Nous pensons pouvoir être 20% moins cher que les prix actuels du marché » se promettait de son côté Eytan Koren, cofondateur et président de Hello Syndic. En jeu donc, de faibles taux de rémunération, supposés être compensés par le volume des copropriétés qui basculeraient vers ces nouveaux acteurs.
Rappelons qu’un sondage, commandité à l’Ifop en 2020 par Bellman, dévoilait que 36% des copropriétaires en France souhaitaient changer de syndic, un chiffre qui montait à 44% en Ile-de-France. De quoi aiguiser les appétits !
Un soufflé vite retombé
Cinq ans et plusieurs crises – sanitaire, géopolitique et maintenant énergétique – plus tard, le paysage s’est obscurci. Le capital-risque se fait plus rare, les premiers clients de ces agences newlook ont déchanté et se tournent à nouveau vers les syndics historiques, et d’importants plans de licenciement ont déjà eu lieu chez plusieurs de ces start-up. Comme le résume un rapport du cabinet Xerfi début 2023, « les proptech qui ont misé sur une offre qui se substitue aux standards de marché sont sur la sellette. On pense bien sûr aux néo-agences qui ont cherché à dynamiter les intermédiaires traditionnels en proposant des faibles taux de commission. Tous ou presque sont revenus sur ce modèle ».
Alors, un coup pour rien et tout recommence comme avant ? Pas si sûr. « Comme à chaque arrivée d’une nouvelle concurrence, la profession a d’abord été sur la défensive, les acteurs en place anticipant qu’ils allaient forcément perdre des copropriétés parmi leurs clients » explique Laurent Charrier, associé chez Viou & Gouron, spécialiste des transactions dans le secteur. « Et sans doute cela a t-il fait bouger les lignes, au bénéfice des propriétaires » reconnaît-il. Néanmoins, assure t-il, que ce soit du côté des vendeurs de cabinets d’administration de biens ou de leurs acquéreurs, l’impact de cette « révolution » du secteur sur la négociation des prix des cessions n’est pas perceptible.
Un recentrage bienvenu sur les valeurs des cabinets
Si l’arrivée des néo-syndics n’a pas finalement eu pour effet de tirer vers le bas les prix de cession d’un cabinet de gestion immobilière, en revanche elle a entraîné une remise en cause des cabinets traditionnels. Qu’est-ce qui donne de la valeur ajoutée à leur offre de services ? Quelle est leur « value proposition » comme disent les conseils en stratégie ? Les professionnels du secteur ont pris le temps de réfléchir à ce qui fait la valeur de leur offre, une démarche indispensable pour justifier leurs tarifs face à des copropriétés qui les auraient challengés.
« La taille des cabinets a joué dans leur capacité de réaction. Les plus grands et ceux qui cherchent actuellement à se développer par croissance externe, ont pu investir sur des solutions digitales qui leur ont permis notamment d’améliorer leur réactivité face aux demandes des clients et à l’inflation du nombre de mails reçus ». En revanche, les plus petites structures n’ont pas les moyens et, parfois, pas les compétences ou même l’appétence en interne pour de tels changements dans leurs pratiques professionnelles. Ils n’ont pas non plus les moyens de se lancer dans une guerre des prix, qui aurait des conséquences potentielles sur les rémunérations de leurs collaborateurs, avec le risque de voir ceux-ci les quitter, alors que les difficultés de recrutement restent élevées.
Trouver ce qui fait sa force
La solution ? « Cesser de gémir et examiner ce qui fait sa force », entend-on chez Viou & Gouron. Par exemple, en se concentrant sur certaines copropriétés, en fonction de critères comme la proximité du cabinet, d’où une présence active et remarquée dans les immeubles, ou en se spécialisant dans certains quartiers, avec des effets bénéfiques sur les relations ou la réactivité des artisans appelés à intervenir.
« Il y a aussi des propriétaires qui ne sont pas vraiment sensibles à l’argument des tarifs bas, car ce qui les intéresse relève plutôt de l’investissement à long terme, de la sélection des artisans et de la qualité de travaux qui valorisent leur patrimoine. De la haute couture en quelque sorte ». On sait bien combien dans le secteur du luxe les petits ateliers ont encore toute leur place… Mais pas pour produire du prêt à porter !
Faire connaître sa différence
Aux dirigeants des cabinets de syndic incombe ensuite le soin de bien expliquer à leurs meilleurs clients pourquoi et comment ils leur donnent une forme de priorité, pour continuer de leur garantir les meilleures relations. Il faudra savoir démontrer la qualité de service avant de le vendre un peu plus cher…
Lire aussi : Pour céder un cabinet d’administration de biens, la réputation ça compte
Le cabinet Viou & Gouron déconseille donc de se lancer dans une guerre des prix et suggère au contraire d’accepter l’idée que « certaines copropriétés, uniquement motivées par les bas tarifs par exemple lorsqu’elles comptent surtout des investisseurs, partiront de toute façon ». Un comportement « droit dans ses bottes » qui doit déboucher sur des résultats financiers solides, avec un portefeuille fidélisé : la valeur du cabinet lors d’une éventuelle cession ne pourra qu’en profiter.
Il se pourrait même que certains collaborateurs des start-up, déçus d’y avoir trop subi la pression du résultat mais qui ont découvert un métier intéressant, aient envie de rejoindre une structure plus satisfaisante sur le plan des conditions de travail. Dans ce cas, il faudra leur proposer un environnement de travail comparable à celui qu’ils ont connu avant. Cela tombe bien : Belmann, jadis symbole de ces « disrupteurs », s’est mué en éditeur de logiciels… et propose désormais l’essentiel de sa plateforme en mode SaaS. Autrement dit à la portée de tous les cabinets !