Rares sont les cabinets d’expertise-comptable qui peuvent se passer de croissance aujourd’hui. Mais quelles sont les étapes de ce développement ? Faut-il penser à acheter un portefeuille supplémentaire ? Comment grandir en conservant son autonomie de décision ? Les conseils de Viou & Gouron.
Se développer, une nécessité pour tous
Les experts-comptables indépendants disparaissent peu à peu. Les professionnels du chiffre ont mis la croissance de leur cabinet au cœur de leurs préoccupations d’aujourd’hui. Ils ont (au moins) 4 bonnes raisons : se développer pour mieux faire leur métier, conserver leur rentabilité, ouvrir des perspectives de carrière à leurs collaborateurs et, in fine, préparer leur propre avenir.
- Mieux faire son métier pour l’expert-comptable, c’est garder du recul sur les chiffres, se consacrer au conseil, et faire preuve d’initiatives auprès des clients. Pour cela, il lui faut pouvoir sortir la tête du guidon ! Il sera difficile d’y parvenir sans avoir atteint une première taille critique ;
- Conserver sa rentabilité n’est pas une mince affaire quand les coûts informatiques grimpent, que les salaires sont tirés vers le haut par la pénurie de candidats, qu’il faut faire passer tous les clients à la facture électronique, et que les honoraires de tenue comptable sont toujours moins valorisés. La croissance du cabinet pourrait permettre de réaliser des économies d’échelle, tout en proposant de nouveaux services aux entrepreneurs ;
- Ouvrir des perspectives de carrière est indispensable à la fidélisation des meilleurs collaborateurs. Si tout devait rester en l’état, leur ambition, légitime, les conduira ailleurs. La croissance des effectifs permet de créer des postes de management intermédiaire et de confier à certains de nouvelles responsabilités ;
- Valoriser le cabinet en développant son chiffre d’affaires récurrent.
Comment se déroule la croissance des cabinets d’expertise-comptable ? Quelles sont ses étapes-clés ? Quels sont ses choix critiques ? Laurent Charrier est associé de Viou & Gouron, le spécialiste français de la cession des cabinets d’expertise comptable. Chaque jour, il échange avec des professionnels à différentes étapes de leur développement. Sa vision du développement en 5 moments forts.
Etape 1 : La fondation du cabinet
Qui pose sa plaque ? « Ils approchent de la trentaine, avec leur DEC en poche et déjà une bonne pratique métier. Seuls ou avec un associé, ils peuvent commencer de zéro, mais souvent avec un petit portefeuille, par exemple racheté au cabinet où ils étaient stagiaires mémorialistes », note le spécialiste.
Sylvia Oddou, Some Associés
Jusque-là, rien de neuf. Sauf que l’état d’esprit des fondateurs évolue. « Fonder, ça veut dire poser les bases du cabinet pour les années à venir. Aujourd’hui les jeunes experts-comptables n’ont pas peur d’affirmer un positionnement et d’afficher leurs conditions dès le départ, quitte à cliver. Entre autres, ils excluent d’emblée toute transmission de pièce autre que dématérialisée. Comme leurs aînés, ils ne veulent pas accepter n’importe quel client… mais eux n’hésitent pas à le dire ! ».
C’est ce qu’exprime Sylvia Oddou, qui a ouvert en juin 2022 son cabinet Some Associés à Sisteron : « Chez nous, il n’y a pas de mission sans conseil. Nous expliquons ce principe dès la première rencontre avec un client potentiel. L’accompagnement est systématiquement intégré dans les honoraires, et leur montant en tient compte ». En trois ans, elle est passée de 30 à plus de 160 clients.
Etape 2 : Jusqu’à 500 K€ de chiffre d’affaires
On parle ici de chiffre d’affaires récurrent correspondant à des honoraires contractuels, qui constitue encore à l’heure actuelle la base de valorisation des cabinets d’expertise-comptable. Dans cette étape – à l’issue de laquelle le cabinet comptera généralement 4 ou 5 collaborateurs, « la première embauche constitue le grand pas en avant », souligne Laurent Charrier.
Il s’agit d’abord d’un saut psychologique. Un expert-comptable est un professionnel recherché et, tant qu’il est seul, sa charge mentale reste mesurée quant à son propre avenir. Mais l’embauche d’un collaborateur alourdit ses charges fixes : salaire, cotisations sociales, nécessité de louer un bureau, etc.
Ce changement peut prendre plusieurs années, notamment du fait des progrès de l’automatisation et des outils métier. Le temps de traitement des pièces comptables a ainsi pu être divisé par deux. « L’IA a été notre premier recrutement ! » résume Sylvia Oddou.
Mais les premières embauches demeurent des moments-clés. « La croissance est le seul moyen pour répondre aux sollicitations et garder un peu de hauteur de vue, y compris dans la relation avec les clients. Ces recrutements constituent le début d’un cycle vertueux ».
Etape 3 : De 500K€ à 1 Million d’honoraires récurrents
Le plus souvent, les cabinets arrivent jusqu’à un premier palier de 500 K€ par croissance interne. Leur structuration intervient de manière assez naturelle : distribution des dossiers et du travail par affinités entre les premiers collaborateurs, l’expert-comptable assurant leur contrôle et le conseil aux clients (et faisant beaucoup d’heures…).
« L’un (ou plusieurs) des collaborateurs se verra attribuer un stagiaire, deviendra responsable d’un portefeuille, et l’équipe grandira en même temps que la clientèle.
Mais cette équipe reste fragile. Le départ d’un seul pénalise lourdement ceux qui restent, en attendant son remplaçant. Les frais de structure et d’informatique peuvent être difficiles à rentabiliser rapidement. Et si l’on a la chance d’avoir des clients en forte croissance, il faudra se développer aussi si on veut les garder… ».
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Certains experts-comptables ont envie d’accélérer. Pour eux, la solution peut résider dans le rachat d’un petit portefeuille ou, mieux encore en cette période où les difficultés de recrutement sont tenaces, d’un petit cabinet avec un ou deux collaborateurs.
Etape 4 : Le dilemme du million
Les cabinets de moins de 10 personnes, soit jusqu’à environ 1 Million d’euros de chiffre d’affaires récurrent annuel, représentent aujourd’hui 83% des sociétés d’expertise-comptable. Mais « c’est à l’approche du million que se repose généralement la question de l’ambition qu’a l’expert-comptable pour son cabinet », constate Laurent Charrier.
Ce million correspond souvent à une dizaine d’années d’exercice, à un rythme de croissance annuelle moyenne situé entre 5 et 10%. « C’est aussi l’approche de la quarantaine pour beaucoup, complète le spécialiste. Stop ou encore ? Stabiliser et se donner de l’air, ou franchir un nouveau palier ? Quel est le défi, quelle sera la prochaine étape ? ».
Les questions tranchées à la fondation du cabinet redeviennent prioritaires. D’autant que l’environnement ne s’est pas figé dans l’intervalle : évolution des attentes des clients, nouvelles concurrences, mise en place de la facture électronique… Il faut décider d’un nouveau départ.
A ce stade, le choix intervient le plus souvent entre :
- Stabiliser en tâchant de conserver le rythme de croissance endogène habituel, et avancer jusqu’à la taille critique, au fil des recrutements. Mais la croissance endogène est difficile à piloter, du fait d’un effet de seuil de ±50 K€ annuels par collaborateur, de la difficulté et du coût des embauches, et du temps passé au management,
- Racheter un premier portefeuille (par ex. 300 K, avec 2 collaborateurs),
- Se rapprocher d’une plus grande structure, et laisser de côté son indépendance pour trouver de nouvelles opportunités.
Mais d’autres (et ils sont nombreux actuellement d’après Viou & Gouron) préfèrent une approche industrielle, par rachats et associations successifs, avec comme objectif un cabinet structuré, hiérarchisé, multi-bureaux et/ou multiservices. « Leur pari est clair : construire un petit groupe et intéresser les plus grands dans les dix ans à venir ».
Etape 5 : En route vers les 3 M€
Ces experts-comptables partagent le raisonnement des start-up, y compris dans le financement de leurs acquisitions, soutenu par des fonds de private equity. Mais leurs talents de gestionnaires sont autrement plus rassurants que dans beaucoup d’autres métiers… et les taux de crédit ne dépassent plus les 3%.
« La situation est de moins en moins rare, et ces entrepreneurs ne cachent pas leur objectif. Ils veulent disposer le plus tôt possible de la structure qui correspond à leur objectif de volume, et pour ce faire, racheter du chiffre et des compétences, intégrer des associés minoritaires, nommer des directeurs de missions… Quitte à s’endetter : une démarche industrielle un peu à la manière de Patrick Drahi, adaptée à l’univers de l’expertise-comptable ! ».
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